Prendre soin de soi pour mieux soigner les animaux

La médecine vétérinaire dans le tourbillon de l’inflation 

Ce sont des blouses vertes qui ne restent pas inactives face à un stress qui augmente. Alors que les métiers de vétérinaire et d’auxiliaire vétérinaire, comme tant d’autres, connaissent aussi la surcharge de travail, la pression ou l’incivilité des clients propriétaires d’animaux, le manque de temps libre et d’autres facteurs de tension ou de fatigue, ces professionnels se prennent en mains. Pas question de voir leur propre santé décliner alors que soigner des animaux et sauver des vies les passionne toujours, même si leur profession fait moins rêver aujourd’hui qu’autrefois.

« La qualité de vie au travail (QVT) est devenue en quelques années un enjeu crucial pour les entreprises vétérinaires », relève le Dr. Vétérinaire Pierre Mathevet, consultant après une carrière en clinique et en industrie pharmaceutique : « Les vétérinaires ont toujours fait passer en premier la qualité des soins aux animaux. Aujourd’hui, la priorité doit impérativement se porter sur les praticiens, leurs équipes et le bien-être au travail de tous. Avec des vétérinaires et des collaborateurs motivés et engagés, en nombre suffisant, éprouvant du plaisir à travailler, il devient possible de prodiguer des soins de qualité et de développer la satisfaction clients. Cela permettra un bouche-à-oreille favorable sur Internet et nourrira le plaisir à travailler dans sa structure, la fidélisation des clients, et ainsi l’augmentation des revenus de la structure. Une nouvelle boucle vertueuse à créer ! »

FIERS MAIS SURMENÉS

D’après lui, il est ainsi primordial que les vétérinaires visent d’abord leur bien-être et celui de leurs équipes, avant la performance économique d’un cabinet ou la satisfaction des clients, qui ne seront que les conséquences heureuses d’avoir bien pris soin des femmes et des hommes en vert en premier. C’est le premier élément, le bien-être des intervenants, qui permettra les deux autres, et qui évitera tensions, difficultés, voire épuisement (burn-out) dans une profession moins médiatisée que celle des agriculteurs par exemple quand on parle d’épuisement professionnel ou de détresse, alors qu’elle souffre aussi.

Pour en savoir davantage sur la situation, MSD Santé Animale a mené récemment une étude auprès de 1181 vétérinaires ou leurs auxiliaires : seulement 56% d’entre eux sont globalement satisfaits (à 45%) ou très satisfaits (à 11%) de leur vie alors qu’à 94% ils sont fiers ou très fiers d’effectuer leur travail et qu’à 90% ils l’apprécient. Parmi ces professionnels travaillant à 82% dans des structures indépendantes, ils et elles sont plus de 8 sur 10 à saluer des relations chaleureuses au sein de leur équipe, à constater avec plaisir que le temps passe vite au travail et que leur activité apporte une contribution positive à la vie d’autrui. Ils et elles soignent et sauvent des chiens, des chats, des furets, des veaux, des vaches, des chevaux, des moutons, des oiseaux… en ville comme à la campagne, mais le font au prix d’un surmenage et d’un stress importants.

PLUS EN VILLE QU’À LA CAMPAGNE

Car ce qui frappe dans ce premier baromètre de la profession en France réalisé à l’automne dernier et qui s’inspire des études que la maison mère américaine MSD Animal Health réalise depuis plusieurs années, c’est que les deux groupes de professionnels se disent autant l’un que l’autre « épuisés par leur travail » pour les deux tiers des sondés et « dérangés par des problèmes émotionnels » comme l’anxiété, la dépression ou l’irritabilité pour 61% des répondants.

Des sentiments globalement ressentis autant par les femmes que les hommes interrogés et qui reflètent une situation déjà connue aux États-Unis, où le pourcentage de vétérinaires ou de leur personnel auxiliaire souffrant de détresse psychologique est passé en moyenne de 9% à 12% entre 2019 et 2021, le chiffre allant de 7% en pratique rurale à 13% en médecine vétérinaire pour les animaux de compagnie.

Est-ce aussi grave en France ? Nos blouses vertes seraient-elles aussi surmenées, débordées et parfois mal considérées voire agressées, verbalement ou non (par les patients et clients), que les blouses blanches de nos hôpitaux et cabinets médicaux ou d’autres professions comme celle des enseignants ?

En 2019-2020 déjà, une étude commandée par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires et l’association Vétos-Entraide aboutissait aux mêmes conclusions : l’épuisement professionnel et des troubles somatiques affectent la profession.

« INTERDICTION DE PARLER BOULOT APRÈS 20H30 »

En cause ? Une surcharge de travail, très souvent morcelée, interrompue en quasi-permanence ;
une vie familiale ou personnelle affectée, manquant de temps libre ; la pression des clients ; la peur de l’erreur ; constater la souffrance animale ; le tout pouvant générer des tensions entre collègues qui s’ajoutent à ce malaise. Travailler plus que 40 heures par semaine, jusqu’à 80 pour certains praticiens, ne laisse presque personne reposé et serein, génère souvent une fatigue constante et impacte la vie personnelle et familiale.

Marine Slove, vétérinaire, a trouvé la parade. « J’ai développé une capacité à compartimenter mon cerveau pour ne pas me laisser envahir par le stress professionnel dans la sphère privée », avance-t-elle, avant d’expliquer : « Pour débrancher mon cerveau, j’écoute un podcast ou un livre audio qui m’intéresse beaucoup, pour attirer mon attention et m’obliger à quitter ma dernière tâche. Ainsi, cela me sort de la sphère professionnelle pour arriver en douceur dans la sphère privée et le pro n’empiète pas sur ma vie familiale, ce qui est plutôt salvateur avec des enfants de 2 et 4 ans ! » Celle qui est aussi journaliste & fondatrice de TÉMAvet ajoute la « règle » en vigueur dans son foyer : « Avec mon mari – également vétérinaire – quand les enfants sont couchés, nous vidons notre sac et, si nous avons eu des soucis professionnels, nous les citons et nous passons à autre chose. Et interdiction de parler boulot après 20h30 et certainement pas avant de dormir…»

MARCHER 15 À 30 MINUTES, DEUX FOIS PAR JOUR MINIMUM

De quoi garder un équilibre vie professionnelle – vie personnelle à la maison même si globalement seulement 71% des répondants à l’étude MSD disent pouvoir consacrer assez de temps à leurs proches, une proportion qui descend à 40% environ pour le temps passé avec des amis, à faire du sport, à lire pour le plaisir, à dormir au moins 8 heures par nuit et à 20% pour le temps passé à voyager, là aussi pour le plaisir. S’il s’oblige et parvient maintenant à prendre de vraies vacances, Julien Herla, vétérinaire et ostéopathe installé en Pays-de-Loire, partage son astuce pour ne pas se laisser envahir par le boulot en dehors des périodes de congés : le mini-temps pour soi, notamment lors de pauses actives. Il sort marcher 15 à 30 minutes en fin de matinée et en fin d’après-midi, voire en cours de journée entre deux clients, ce qui suppose justement de se ménager des créneaux horaires sans rendez-vous. « Ne pas prendre rendez-vous avec soi-même est une faute professionnelle », lance celui qui confesse avoir frôlé le burnout en 2020 après des années de déni de cet épuisement lié au surmenage. Aujourd’hui très actif dans la promotion du bien-être au travail et du bien-vivre dans sa profession, le docteur vétérinaire Herla donne des conférences et répète sans relâche à ses confrères, consœurs et aux étudiants en école vétérinaire qu’il faut garder du temps pour soi, ne pas comparer rentabilité ou efficacité entre deux cabinets, mais bien de se parler entre praticiens et de partager ses soucis, ses interrogations et ses bonnes pratiques pour faire face aux difficultés du métier.

Une attitude positive et d’ouverture, pourtant encore peu courante, alors que 33% des professionnels ne sont pas à l’aise pour discuter de l’épuisement ou du stress au travail selon l’enquête MSD et que 17% d’entre eux disent ignorer si leur employeur les soutiendrait en cas d’absence forcée pour un problème de santé mentale. Une inconnue qui se transforme en déception vis-à-vis de la profession en général quand 57% des sondés pensent que celle-ci ne se soucie pas des personnes affectées par une maladie mentale, alors que l’Ordre national des vétérinaires (ONV), au contraire, est très sensible au sujet et favorise l’entraide et le partage d’informations entre confrères, dans un esprit de bienveillance et de confiance.

C’est ce que dit Corinne Bisbarre, vétérinaire et conseillère élue à l’ONV, responsable de l’action sociale, qui évoque des actions menées par l’Ordre en ce sens et cite aussi en exemple l’association Prévention Médicale, consacrée à la gestion des risques en santé humaine et à la sécurité du patient, et dont la médecine animale compte s’inspirer pour elle aussi favoriser le partage d’expériences et soulager le stress des vétérinaires.

DEUXIÈME ACCORD TOLTÈQUE

Mais il est vrai qu’afficher ses émotions ou se soucier du bien-être de ses collègues n’était pas courant par le passé. Heureusement, les choses changent, en bien, selon cette étudiante vétérinaire qui se réjouit d’avoir travaillé dans « une clinique modèle où tout est hyper bien organisé. » Celle-ci prévoit « du temps libre dans le planning pour gérer les urgences et les ennuis qui arriveront forcément dans la journée » ainsi que « des rituels comme le moodboard où chacun peut indiquer le matin dans quelle humeur il ou elle se trouve, ce qui facilite les relations entre les gens ». Une bonne pratique qui sera d’autant plus efficace que la communication interne au sein de la structure vétérinaire sera fluide, ouverte et sans jugement, afin que la parole soit libre et que l’information circule bien entre tous, un autre domaine en progression dans un secteur qui, souvent, se souciait peu de communication interne jusqu’à présent.

Autre source de stress : prendre pour soi la détresse ou la souffrance des animaux ou de leurs propriétaires. « Il faut rester neutre et ne pas s’approprier l’émotion de l’autre, même s’il faut la comprendre, bien sûr », poursuit Julien Herla, citant le deuxième accord toltèque : Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle. Selon lui, le vétérinaire et son équipe ont un devoir de soulager un animal qui souffre, un devoir de soins, mais c’est tout. Ou comment rester professionnel et empathique mais ne pas se laisser happer par ce qui arrive à son patient ou son client. Une attitude plus fréquente chez les médecins humains, capables de détachement et de lâcher-prise, que chez celles et ceux qui soignent des bêtes. Car toute empathie trop forte pour les clients et leurs animaux, se transformant en sympathie, peut déclencher une fatigue émotionnelle, qui s’ajoute à la fatigue physique ou mentale d’un travail très prenant. Et ceci alors que la pression des clients augmente.

AVIS NÉGATIF SUR GOOGLE

Citons cet homme qui trouve que son vétérinaire aurait dû tout arrêter pour s’occuper de son chat en priorité ou qui sera déçu du diagnostic ou du soin apporté à son animal, et qui ira déposer un avis négatif sur Google, alors que le vétérinaire a fait tout ce qu’il pouvait et devait… Certains « s’acharnent » même sur les praticiens selon le Dr. vétérinaire. Herla. Ces clients pensent que tout leur est dû et pensent aussi tout savoir, mieux que les professionnels, alors qu’effectivement « une » information est à portée de clic, avérée ou non, alors aussi que ChatGPT a réponse à tout depuis peu, et alors que les fausses informations circulent six fois plus vite que les vraies…

« Nous sommes formés pour être vétérinaire, pas pédiatre, ni psychiatre », remarque un jeune praticien interrogé par l’ONV. Il note que « l’escalade des propositions de soins aux animaux de compagnie et le transfert affectif des propriétaires sur leurs animaux ont certes permis l’accroissement économique des structures vétérinaires » mais qu’en retour « la pression psychologique s’est accrue ». « Les jeunes qui sortent des écoles ont peur de se tromper, peuvent ne pas se sentir à leur place et le moindre avis négatif publié sur Google les déstabilise », ajoute-il. Dans l’étude MSD Santé Animale, ils sont presque 8 sur dix parmi ces vétérinaires à auxiliaires de soins questionnés à sentir et regretter cette pression et autant à dire qu’ils craignent l’erreur, ce qui accroît leur stress.

CONFIANCE ET COMPÉTENCES

« Cette crainte de l’erreur est plus forte chez les jeunes praticiens que chez les anciens, et plus importante aussi parmi les jeunes vétérinaires que les jeunes médecins », analyse Corinne Bisbarre, qui confirme que la peur de l’erreur est « un gros facteur de stress, le deuxième après l’emprise de la vie professionnelle sur la vie personnelle ». Et cette vétérinaire, qui conserve son activité libérale en plus de son travail pour l’Ordre, rêve de voir organiser un congrès professionnel consacré à l’erreur. En attendant, elle insiste sur l’accompagnement des étudiants et des jeunes praticiens pour ne pas craindre l’erreur, ne pas mal la vivre, car l’erreur est humaine, n’est jamais intentionnelle, fait partie de l’apprentissage du métier, peut revêtir différentes formes, est réversible dans la grande majorité des cas et doit servir à se perfectionner par la suite. Une raison pour que les vétérinaires expérimentés ne blâment pas leurs jeunes collègues pour des erreurs commises mais les fassent plutôt s’interroger sur elles, avec bienveillance et en leur conservant leur confiance. Une confiance à accorder également a priori à ses jeunes ou futurs collègues par les aînés dès les premiers stages, mais qui n’est pas toujours constatée : « Certains vétérinaires ne nous laissent rien faire en stage tandis que d’autres jouent le jeu et nous montrent des gestes de base utiles pour la suite », précise cette étudiante, dont l’amie ajoute : « Ce serait bien de généraliser les livrets de compétences, qui permettent en début d’expérience de préciser ce que l’on sait faire ou pas en tant que stagiaire, et de fixer les objectifs d’apprentissage avec les vétérinaires de la clinique. »

En médecine vétérinaire comme en entreprise, l’idée d’accorder sa confiance et d’accepter l’erreur, voire de la mettre en avant comme outil de management intelligent, progresse néanmoins, même si le chemin est encore long en France, pays où prendre des initiatives et faire des erreurs sont encore mal perçues alors que les Américains célèbrent l’erreur depuis longtemps à travers par exemple les « FailCon », ces conférences d’entrepreneurs venus expliquer leurs échecs, pour mieux rebondir et permettre à autrui d’éviter les mêmes erreurs.

Et c’est aussi comme cela que le métier continuera à attirer, car aujourd’hui 55% des vétérinaires et de leurs auxiliaires ne recommandent ce métier pas à autrui selon MSD Santé Animale, même si les premiers n’en regrettent pas l’exercice et n’envisagent presque pas d’en changer (à 84%) alors que les non-vétérinaires sont 4 sur 10 à vouloir pratiquer un autre métier mieux payé, mieux reconnu, moins prenant et moins stressant que celui qu’ils exercent aujourd’hui. « Le métier reste plein de sens », estime Pierre Mathevet, confirmant les données de l’étude MSD Santé Animale, laquelle note une envie toujours forte de tous les vétérinaires et leurs auxiliaires de soigner les animaux, mais pas à n’importe quel prix, en termes de rémunération, de santé physique, mentale et émotionnelle. Reste à renforcer l’esprit du collectif au sein des structures, à protéger sa vie personnelle et sa propre santé, « et retrouver plaisir au travail en transformant la quête de reconnaissance, source de frustration régulière vis à vis des propriétaires d’animaux, en pleine satisfaction de faire ces métiers », selon le Dr. vétérinaire Mathevet.

source : mon MSD mag #23 – septembre 2023

GP-FR-NON-240300038